Articles /Rencontrer /L’instant nature : Le Rouge-gorge familier et le Lilas

L’instant nature : Le Rouge-gorge familier et le Lilas

À chaque saison, nous vous proposons, dans l'Instant nature, un dialogue entre un oiseau et un arbre. Ce dialogue est écrit par Éric, jardinier, guide jardinier, guide nature et patrimoine, sculpteur et peintre, écrivain, restaurateur d'art, et accompagnant à domicile auprès des personnes âgées. Et si écrire, jardiner, sculpter partageaient un lieu à soi où se tenir au monde. Pour la saison du printemps, Rouge-gorges et Lilas partagent sept jardins. Cet été dialogueront le Pic vert et le Chêne.

L’instant nature : Le Rouge-gorge familier et le Lilas

Le Rouge-gorge familier et le Lilas

 

Il était cinq heures à Amberley, dans le West Sussex, en 2024. Le soleil s’était levé et les floraisons des Lilas se distinguaient sur un ciel bleu doux. Le Rouge-gorge familier y reprenait ses notes cristallines, fines.

Le printemps égayait le jardin d’oiseaux migrateurs revenus et de ceux déjà aux nids, ses gouttelettes crèmes perlaient sur les mauves des fleurs. La Lune, devenue pâle, observait.

« Je vois ses teintes orangées et ses grands yeux noirs, dit May, oiseau curieux qui suit mes gestes. Il trotte, sautille, s’arrête, se cache, vol bas, grimpe corps dressé, se perche là-haut. »

« J’imagine une broderie raffinée comme l’orangé du Rouge-gorge, reprend-elle, avec des fils de couleurs lilas et vert clair de l’arbuste printanier, comme une énergie positive, rieuse, spontanée. »

Elle songeait à ses amies, que faisaient-elles ? Des mots lui venaient, les chaleurs amicales se matérialisaient avec eux, ils devenaient vivants, à s’imaginer ce que l’une et l’autre composaient aujourd’hui. May allait jardiner, puis broder.

« Et ce Cher oiseau, dit May, que fait-il chez les amies dans leurs journées créatrices ? »

« Précise comme une horloge, dit May, la journée de l’oiseau allait suivre le soleil et la quête d’énergies pour vivre. Chants, récoltes, repos, attentes, entretiens, toilettes et sommeils influencés par le temps. »

Ici, la femelle seule avait construit son nid dans les branches d’un Lilas. Les feuilles sèches, les mousses, les touches de lichens et les radicelles de l’ouvrage étaient cachées par les feuilles triangulaires et les grappes pyramidales de ce cousin du Frêne, de l’Olivier, du Forsythia, du Jasmin, des Osmanthus, la famille des Oléacées aux fleurs symétriques à quatre pétales.

 

Il était huit heures à Amberley, en 2024. Le soleil continuait sa course et éclairait l’atelier d’écriture. Le bleu chaud du ciel semblait nourrir le mur couleur sable. Le deuxième Rouge-gorge observait, trouvait des insectes dans les feuilles du Lilas blanc double ‘Madame Lemoine’ près de la fenêtre entre-ouverte pour le vent léger et parfumé.

« Je vois des perce-oreilles et des fourmis, dit Violette. Et hier, il s’affairait avec des lombrics et petits mollusques. »

« Je suis contente de mon texte sur l’Aubépine, dit Violette. Elle écrivait. Avant-hier, l’oiseau se nourrissait dans ses fleurs. Cet été il mangera ses fruits. »

Violette avait rencontré May l’an dernier à la fête des plantes de Mottisfont, à choisir des Astrances. Violette, rêveuse, reprenait l’écriture, avec le sable et le parfum de l’atelier, comme des miroirs et des mondes dans un monde.

« Je lui avais demandé si le Rouge-gorge aimait les fraises en forêt. Elle me répondait oui. Il y eut, dès lors, notre coup de foudre amical, comme deux enfants qui chuchotaient sous la table de longues possibilités, avec leurs perles crèmes. » Plus tard, Violette avait annoncé au jardin de May qu’elle allait y œuvrer, employée désormais. Les jeunes Lilas avaient entendus. Ils faisaient merveille depuis associés aux Seringats, Églantines et Amélanchiers.

« J’entretiens la collection par couleurs, dit Violette. Il y a des Lilas simples, doubles, remontants, petits, pour sols secs ou pour les haies des oiseaux. » La nappe vermillon de la table d’écriture flottait doucement au vent, quel mystère avait alors attiré l’oiseau plus nerveux..

 

Il était onze heures à Sissinghurst, dans le Kent, en 1952. Le soleil chauffait les allées du jardin blanc. À y mettre des ailes, il semblait que des draps de lin brodés de pétales flottaient, des pétales du rosier hybride de moschata ‘Pénélope’. Le bleu plus intense encore animait les conversations.

Un troisième Rouge-gorge, le distingué des lieux, se posait ici, sur la statue dissimulée dans le Lilas ‘Palibin’.

« Je vous présente ‘Palibin’, dit Vita, mon Darling, mon préféré. »

« Continuons la visite, dit Vita tout bas, un Rouge-gorge est là. Voilà sa pause aux heures chaudes, laissons mon chou-chou en paix.. ».. Les pas étaient feutrés, les oiseaux se reposaient. Plus loin, elle expliquait ces repos des oiseaux de jour ou de nuit pour dormir un peu, lisser des plumes, prendre un bain de soleil ou de poussière, et… que ce petit Lilas de deux mètres de haut, une obtention horticole ancienne, avait une allure naturelle, une floraison printanière et automnale en petites grappes mauve rose-clair et parfumée.

 

Vita et May adoraient leurs lettres qui réchauffaient les moments de douce solitude, aimaient se dire que les jardiniers étaient des artistes dans l’âme.

« Les jardins et les oiseaux, songe Vita, viennent me rappeler quelque chose de l’enfance, de la mémoire - de quelle mémoire d’ailleurs -, un rêve, un vécu, une aspiration, une douceur. » Oui, en tout cas un génie du lieu, une sorte de présence, une image floue et ancrée, une altérité avec qui j’aime parler (Vous vous parlez seules parfois, à imaginer une histoire ? Oui, celle sous la table à la nappe vermillon.)

« Certains mots du Lilas nous suivent, dit Vita aux visiteuses. Les blancs et les premières émotions d’amour, les mauves pensifs, les lilas vivants, l’arbuste artiste qui sait nous toucher par ses effets forts, simples, fragiles et sensibles. Oui, quel humble et discret ami.. »

 

Il était quatorze heures à Nancy, en 1884, en France. Le soleil généreux accompagnait ces paysages continentaux. À la pépinière, tout s’activait, les papiers couleur lin clair des emballages étaient comme des draps de lin brodés méticuleusement repassés, des boissons fraîches étaient servies.

Un quatrième Rouge-gorge, pour entretenir ses plumes – et quelle fonction primordiale – avait trouvé un bain dans un lieu calme. S’ébouriffer, s’éclabousser, se frictionner, se lisser. Boire.

« Je vois la commande pour l’Angleterre, dit Marie-Louise, et cette chère Violette va adorer ce Lilas, Syringa vulgaris ‘Sensation’, les fleurs violet mauve foncé marginées de blanc. »

 

« Je lui prépare des idées de couleurs, dit Marie-Louise, pour suivre la rusticité et la délicatesse de l’arbuste de quatre mètres. » Elle imaginait la Clématite ‘Broughton Star’, un Chèvrefeuille des jardins, les rosiers Noisette ‘Alister Stella’ et bourbon ‘Souvenir de la Malmaison’, une graminée lumineuse et sauvage. Les deux femmes – c’était leurs métiers – parlaient d’ horticulture, tout comme, - elles étaient artistes -, à guider la pensée au fond du jardin, ouvrir un portail comme un livre ouvert, une visite comme un voyage intime, un esprit libre et disposé, et, une fois le portail refermé, que s’est-il passé en soi..

La longue amitié de Marie-Louise et May, quant à elle, faisait sentir ces façons d’être autre, ou de parler de sujets précis suivant l’amie avec qui elles se trouvaient. Elles aimaient ces mouvements de la vie, ces intensités et intimités, ces acceptations, et leurs lettres en parlaient.

« Sur les abords de la pépinière, dit Marie-Louise, je favorise la végétation basse, l’ombre fraîche des haies qu’apprécie le Rouge-gorge, et nous comptons deux couples nicheurs pour un peu plus d’un hectare. »

 

Il était dix-sept heures à Olton, dans le Warwickshire, en 1906. Le soleil baissait lentement dans les floraisons des Hêtres, des Chênes et Pommiers. Le chemin familier était le sujet de délicats dessins naturalistes et la lumière faisait son cheminement, à guider les pinceaux.

Un cinquième Rouge-gorge reprenait la recherche de nourriture, et dans le talus tapissé de Lamiers jaunes et de Cardamines des près, de Bugles rampantes et de Renoncules âcres, l’éclosion de cinq œufs allait commencer.

« Je vois les œufs, dit Edith, leurs fonds blancs teintés de crème et rose, tachetés de vert et bruns, et comme lavés d’un léger mauve. »

« Au potager de Maman, dit Edith, dans le Lilas sauvage - Syringa vulgaris – sept petits sont nés hier. » La couvaison avait duré douze jours, les oisillons resteraient quinze jours, les parents les nourriraient trois semaines.

Edith et May aimaient parler de cheminement de la vie, de ces instantanés délicieux à s’écouter elles-deux, amplement, sans nulle sensation de filtres. Elles s’étaient rencontrées au jardin de May, où, pour une commande, Edith avait aquarellé les fleurs des arbres du bois. Ma douce chérie disaient-elles…

« Je lui avais montré un nid d’Écureuil roux dans l’allée des Lilas doubles. Elle me répondait qu’ils avaient bon goût et devaient aimer les parfums et la vue du chemin. »

« J’entends les cris tic-tic-tic de l’oiseau, dit Edith, d’où vient cette inquiétude ? » Le calme était revenu. Elle ouvrait un portail, reprenait sa bicyclette vers les ruisseaux de Knowle, la route de Widney, pour rentrer à Solihull. Le vent léger la laissait libre, des pinceaux des premiers plumages des oisillons, subtils marqueteries de roussâtres et de beiges.

 

Il n’était pas encore vingt heures à Cairnholm, sur une île du Pays de Galles, en 1943. Le soleil terminait sa boucle.. Presque.. Il le fallait. Le vent de la la mer avait refroidi le jardin magique de la maison mystérieuse, dont il fallait éviter le bombardement et la ruine en restant dans la boucle.

 

Les Enfants avaient construit des nichoirs à balcon pour les Rouge-gorges familiers, les Rouge-queues noirs et les Gorges-bleues à miroirs blancs. À chaque recommencement, les petits oisillons se faisaient entendre, une dernière becquée avant le soir.

« Les Enfants, dit Miss Peregrine, ont bien écouté les notes des chants, et observé les plumages des oisillons et des parents. » La nature comme une compagne de vie.

« Les plumes appelées alulas, dit Miss Peregrine, – et elle regarde attentivement l’heure -, sont là pour réguler la vitesse et l’écoulement de l’air, les rémiges primaires pour la propulsion, les couvertures pour augmenter l’aérodynamisme, les rectrices de la queue pour stabiliser le vol. »

Les soirées à Cairnholm parlaient de mille et une couleurs, tout à s’inquiéter de l’avion. Miss Peregrine avait rencontré May lors d’une boucle en 2016, pour ramener les plantes que les enfants souhaitaient et aider leurs pouvoirs surnaturels à protéger plus encore le Pensionnat.

Au travers de l’Histoire, les deux amies s’écrivaient pour entretenir les mots qui savaient s’échapper, faire ce qu’ils voulaient, et les lettres rattrapaient les mots et l’amitié et l’amour.

« Il est temps les Enfants, dit Miss Peregrine, de remonter le temps de vingt-quatre heures. » Tous étaient préparés, le bébé Écureuil du haut de son nid, les légumes géants du potager, la famille Rouge-gorge, les aquarelles lavées d’un léger mauve de Cardamine et d’œufs de Rouge-gorge, et les Lilas que May avait donné.

 

Il était vingt-trois heures, à Paris, à la salle Gaveau, en 2086. Il faisait noir en cette soirée de printemps. Un concert du Domaine Musical venait d’être donné, un récital du Catalogue des Oiseaux. Et les partitions de piano inspirées du chant de l’ami Rouge-gorge étaient un succès.

 

Le public sortait sous un vent agréable, parfumé. La cour des artistes était emplie du même parfum, May y était restée, attendait avec délices son amie. Les murs enduits du petit jardin clos conservaient la chaleur du jour.

Un sixième Rouge-gorge chantait dans la cour éclairée de ce jardin de cour.

« Est-ce le parfum de Lilas, dit Yvonne, d’un des jardins de la rue de Boétie ? »

« J’entends encore un Rouge-gorge, dit Yvonne, cher petit musicien des fins de soirée ».

Éloigné du brouhaha des rues, un oiseau chantait encore près de son nichoir à balcons qu’avaient confectionné des enfants.

Après les câlins, les deux amies parlaient de rythme en musique et jardin - bientôt Yvonne viendrait à Amberley se reposer -. Et venaient les fous rires sur la fluidité, le léger, l’amitié.

May avait rencontré Yvonne sept ans avant, lors du même spectacle, Le Catalogue des Oiseaux, œuvre pour piano donnée en première scène par son aïeule Yvonne en 1959. Il était composé de treize pièces évoquant les chants des oiseaux, des paysages, le jour, la nuit, les couleurs et les magies des parfums..

« Il n’est pas seul, dit Yvonne, ses voisins chantent » La nuit commençait. Les Chouettes hulottes étaient de la partition dans le Catalogue.. Le temps du sommeil pour l’ami des jardiniers.

 

Il était cinq heures le lendemain matin, à Amberley, dans le West Sussex, en 2024. Le soleil s’était levé et les floraisons des Lilas se distinguaient sur un ciel bleu doux. 

Ce septième Rouge-gorge familier y reprenait ses notes cristallines, fines. May était réjouie, la journée du Rouge-gorge était donc une journée réussie.

Et qu’est-ce donc qu’une journée réussie.. Et le Lilas aussi.

Elle finissait les pages du livre. Les vagues se fermaient. Un orangé venait au lilas.

Publié le 06 mai 2024