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L’instant nature : le Rouge-gorge familier et le Lilas

À chaque saison, nous vous proposons, dans l' Instant nature, un dialogue entre un oiseau et un arbre. Ce dialogue est écrit par éric, jardinier, guide jardinier, guide nature et patrimoine,sculpteur et peintre, écrivain, restaurateur d'art, et accompagnant à domicile auprès des personnes âgées. Et si écrire, jardiner, sculpter partageaient un lieu à soi où se tenir au monde. Pour la saison de l'été, le Pic et le Chêne sont parmi flux de pensées et couleurs au jardin.. Cet automne dialogueront la Mésange et le Bouleau.

L’instant nature : le Rouge-gorge familier et le Lilas

« Alors naturellement » pensait May, assise au bord du ruisseau, ce lieu à soi de juin, « je m'étais retrouvée dépendante d'elle, isolée », mais l'impression d'une silhouette vacillante s’effaçait.

 

May réouvrait les yeux, reprenait sa pensée, la douceur. « Soleil astrée, chartreuse, bleu myosotis, cassis, rouge cerise, terracota, blanc pur » étaient les teintes du lieu. Elles répondaient au paysage, aux superpositions des échelles du temps du jardin, celles de l'émotion de quelques minutes, celles des fleurs en étoiles des Astrances courageuses, du grand Chêne entre ciel et terre, du vallon d'argile, de l' éclaircie et ses Pivoines blanches.

 

Kiakiakiakiak… Ces rires venaient de la lisière, le Pic vert chantait entre les arbres, et cherchait la nourriture pour les jeunes souriait-t-elle, une activité de ce tout début d'été des oiseaux, avec celles des changements de plumages, des débuts des migrations en juillet.

 

Le départ des Coucous dans un mois, des créations au jardin, ton séjour chère Violette dans le Devon, les significations et la joie d'être là, les limicoles sur la plage, May passait entre les idées accompagnées d'impermanences, de douces imperfections comme celles du jardin composant au passage du temps. C'était ce qui le rendait précieux pensait-t-elle, comme de la poésie, ce lieu où l'on pouvait laisser s'exprimer sa nature en liberté.

 

Elle observait le Pic, ses plumes hautes en couleurs. La structure des plumes, aidée de pigments caroténoïdes, est peintre. Et quand la lumière y parvient, les rayons verts sont réfléchis, et l'oiseau est vert… Et ces mêmes pigments offrent la gamme des jaunes et rouges.

 

De ces couleurs voilà des Toucans, proches des Pics dans cet ordre des Piciformes, avec ses Barbacous, Tamatias, Cabézons, Jacamars, Indicateurs, Barbicans, Picummes et Torcols. Les mots pouvaient jouer entre eux, afficher quatre cent quarante-neuf espèces de l'ordre, s'échanger des syllabes entre les lignes. Un jeu pour les enfants pouvait être imaginé.

 

Vol onduleux et décidé, l'oiseau farouche était dans le grand Chêne maintenant. « Ah oui, les jeunes.. » pensait May. Cinq à sept œufs blancs luisants avaient dû être pondus mi-mai sur les copeaux du nid sculpté dans le bois, la couvaison - surtout par le mâle, la nuit - , durerait quinze jours, et le séjour au nid environ vingt-cinq, et les petits nourris de mixture de fourmis.

 

L'oiseau ici était un mâle avec le rouge à la moustache. Il n'avait pas sur lui son ciseau à bois, toutefois May l'imaginait creuser la loge dans le tronc du chêne, un cylindre de quinze à vingt centimètres de diamètre, et de vingt à cinquante de fond. Ce bec de menuisier de cinq centimètres, muni d'une langue collante, servait aussi à la recherche de fourmis, de limaces ou de vers. L'oiseau se déplaçait maintenant par bonds sur le gazon.

 

La famille resterait encore ensemble l'été, et May l'avait surprise le soir venu dormir allongée sur les branches. Les chants – les rires - et les plus rares tambourinages reprendraient fin août.

 

Que se disaient les oiseaux, leurs mots. Les observer. « Ah les mots.. » songeait-elle. Ils aiment ressentir mes émotions, j'aime à les savoir vivants, en mouvements. Ils s'arrêtent, repartent, sont ces moments à soi.

 

Des branches, des vagues, le Cap Blanc-nez en France, des Myosotis... ? Où en étais-je déjà ?

 

Observer le jardin et ses évolutions, tenir la binette ou le pinceau, et cette part du jardin laissée au libre spontané des plantes, l'étudier. Et les mots sont jolis, fripons, sucrés, parfumés, arrondis, chics, du vent, de l'eau ou des pastels, d'amour.

 

« Alors de suite » pensait May, qui marchait vers les petits Chênes, « elle n'était que fine séductrice pour mieux me contrôler, et ses faux airs de femme fragile ». Qu'importe désormais. May était arrivée au jardin spirale. Planté de Chênes à différents stades de croissance, et accompagné de graminées et d'Anémones légères, le chemin en spirale menait vers la mosaïque de silex et le banc rond en chêne au centre du massif. Le chemin figurait les anneaux de vie de l’arbre. Symbole de la résilience, le Chêne était pour elle et Violette un arbre du futur.

 

Les études avaient montré leurs adaptations aux changements de climat. Plus loin, elles avaient planté un arboretum des Chênes pédonculé, rouvre, pubescent et de Hongrie ; des Pins sylvestre et maritime ; des Mélèzes, Tilleuls, Peupliers et Figuiers. Et des arbres à secrets.

 

Un banc ? Une loge ? Et les Pics signalaient par des indices subtils leurs présences ici. Une « forge » sur l'écorce aide à extraire les graines de Pins ou des glands et des faines, les copeaux sortis du nid, une fourmilière retournée, des trous pour lécher la sève, ou l'empreinte sur un sol boueux des quatre doigts disposés en croix.

 

Elle dessinait du doigt les formes organiques douces des arbustes spontanés avec lesquels composer bientôt - des combinaisons de plantes et autant d'hypothèses -, elle cherchait des points communs aux êtres vivants. Ils ont leurs inventions songeait-elle, des communications entre eux et avec nous. Nul doute, un joli travail et les mots m'attendaient.

 

« Alors donc » pensait May - et sa créativité était plus forte que tout -, « c'était ce manque flagrant d'empathie, elle niait mon individualité, me faisait douter. »

 

Une phrase courte, et l'oiseau satisfait repartait vers le nid. À d'autres moments se faisaient entendre des phrases longues descendantes du chant, des séries basses à l'entrée du nid, et les Pics souvent solitaires devenaient silencieux en juillet août.

 

Assise sur le banc, May relisait la lettre de Violette et les mots du jardinier symbiotique qui sait restituer à la nature l'énergie empruntée pour composer. Des paysages du Devon, écrivait-elle, montraient l'impossibilité fondamentale de contrôler la nature, l’inouï et la douceur de le savoir.

 

« Comment va bien notre jardin à quatre mains ? » demandait -elle ; ce petit monde dans un monde avait dit Vita dans son poème « The Garden », cet acte de création comme une résistance dans ces temps complexes et violents, et mille choses à inventer pensait May en même temps. Oui ce nouveau monde à créer. Elle s'amusait des silences complices dans les mots de Violette, composer à quatre mains, des notes, des plantations.

 

Sur la photo dans l'atelier, elles ressemblaient tant au jardin, des outils tenus, des yeux qui disaient tout, des fluidités et couleurs, des parfums. À bien y regarder, se ressentaient les périodes d'amertume aussi, autour du jardin, le monde – celui d'avant -, l'histoire, le passé.

 

Petite chouette qui tient la flamme… « Ah oui, l'an dernier, un couple de Chouettes s'était établi dans un ancien trou de Pic vert, avec vue splendide sur le Sussex. » pensait-elle. Les Mésanges et Huppes appréciaient de même les œuvres de l'oiseau menuisier.

 

Violette ramènerait de la clotted cream pour les scones. « Des scones ? Tiens, j'irai bien en cuisiner » ajoutait May. Elle remontait vers l'atelier.

 

« Alors bien sûr », May caressait des feuilles et riait de ce présent heureusement, « jadis elle faisait la victime, et fautes et miroirs m'étaient projetés... »

 

Confiture de groseilles à maquereaux pour le thé, « voilà les amis de quoi nous régaler » se proposait May, et la pensée amusée des Pics gourmands dans le groseillier, amateurs de céréales, de pommes et d'abreuvoirs d'eau. De l'énergie pour vous, votre nid mes chéris.

 

Quel spectacle étonnant, copeau après copeau vous disparaissez dans le tronc. Impressionnée par votre maison. L'édifier c'est je pense l'apprentissage, la mémoire, l'expérience, la décision, la coordination, la collaboration. Mésange à longue queue, Jardinier satiné, Rhipidure à gorge blanche, Tisserin, Diamant ou Grive, Pic.

 

Et toutes ces touches de bec comme si l'oiseau - pendant qu'il œuvre entre technique et esthétique - écrivait ou peignait, à monter des couches de mots, de couleurs, de matériaux ; les formes de son corps, le miroir de ses pensées.

 

Une aquarelle élaborée montrerait les étapes observées, deviendrait des tranches de lavis, des couches du temps. Quelle image s'élabore le Pic de sa loge, que ressent-il assis dans le tronc, les petits verront-ils les astres.. ?

 

May imaginait des Mésanges à broder sur du lin cet automne. Là, en juin, elle continuait sur une mousseline des fleurs des Chênes en chatons, des feuilles aux lobes arrondis, patiemment. Créer.

 

« Alors oui », May tissait un fil solide vert sauge, « elle démontait ce qui était construit avec espoir pourtant, et mentait avec violence, m' hurlait des obscénités. »

 

Ouf, May pensait à la belle énergie de la lettre de Violette, ses mots comme les yeux posés sur le grand Chêne au loin. Il semblait balancer ses branches sinueuses et teindre de vert émeraude la prairie. J'aime imaginer l'arbre en soi se disait-elle, sa présence massive et compacte de bois, de vingt-cinq mètres de haut, ses chemins de sèves, le doux parfum de fleurs. J'aime penser à l'arbre sous un ciel froid d'hiver, ancré là, petite pousse, univers dans un univers, sur la Terre qui tourne et tourne sur elle et autour de son Soleil. Mille idées de l'arbre inspiraient la réponse à son amie.

 

Et en cette journée d'après mi-juin, chère Violette, que ressent-il de nos regards de jardinières dans un parterre au bord de la fenêtre aux Sauges et Myosotis, puis dans le boisé des Hêtres et Châtaigniers de sa famille. Quelles sensations a t-il des chants d'oiseaux musiciens, des ailes des insectes dans les creux de ses feuilles, et la fraîcheur du matin, les nuits étoilées, les rires des élèves au loin dans la cour de l'école, sensations d'être là parmi les autres ? À la récréation, une enfant était assise sur le banc, et admirait les fleurs des Cerisiers du Japon. Transportaient-elles des lettres vers les étoiles, des façons d'être au monde ? Dans sa poche elle avait collecté pour ses amis les fruits du Chêne.

 

« Alors en effet », et May épelait le mot résilience, « elle dénigrait son entourage et me dévalorisait aux autres. »

 

Les deux amies conservaient les arbres morts, sur place pour moins d'efforts, et pour nourrir les Pics, espèces protégées. Elles avaient composé ici avec leurs cultures, l'existant et la flore spontanée. Écouter. Boisements, parcs et jardins, bocages et landes, l'Angleterre comptait un peu plus de cinquante mille couples de Pics verts, la France entre deux cent mille et six cent mille. Étaient présentes d'autres espèces, les Pics épeiche, mar, épeichette, cendré, noir, à dos blanc et tridactyle.

 

Il se pouvait que le jardin ne débutait pas avec des premières plantations, mais plus volontiers avec les premiers chemins ressentis. Et si les animaux, les arbres et les compositions sont des mots, les chemins eux – imaginaient-elles - sont la phrase, la trame de vie. Un souffle. Cheminer.

 

Et le jardin écrivait un lieu, fait pour être senti, un monde dans un monde et le temps des saisons, des repères s'ouvrant vers un nouveau à construire. May relisait son amie Catherine, « La force de vie en nous pousse à composer avec ce qui est pour tendre à un équilibre ».

 

Violette continuait l'article des Astrances, May la broderie aux Chênes.

Publié le 08 juillet 2024